Stella-Plage
23 novembre 2012
Vincent préfère la pluie,
surtout quand bruine et brume elle pâlit la côte d'Opale.
Ou quand les nuages en passant la délivrent.
Ou quand, agacés amassés en troupeau orageux, de leur échine gonflée sombre ils
menacent le sol qui se terre aplati de l'en noyer comme ils en noient la mer au loin.
A cause de la lumière écrasée sur les choses sous l'orage.
A cause de ces nuages incessamment selon à s'assembler ou se défaire, lourds, légers,
sombres et clairs, fantasques, inconstants. A cause du vertige des nuages.
Ou juste avant. Ou tout de suite après.
A cause de la fraîcheur.
A cause du vent.
A cause des reflets, de l'étirement des lumières diluées dans l'eau, du redoublement
des formes qui s'enfoncent dans le sol mouillé.
Vincent préfère l'hiver,
surtout ceux qui n'en finissent pas, plein de pluie justement, pendant des jours.
Et la neige. Et le ciel gris qui va avec, ou le bleu qui s'évapore dans tout ce blanc.
Alors l'extérieur apporte un éclairage affaibli et il se voit que la vraie lumière vient
de l'intérieur des choses. C'est cette lumière-là qui se met dans les couleurs.
Qui entre dans les gouttes de la pluie, dans les cristaux de la neige, dans les
poussières de la bruine. Qui affleure des écorces. Et qui brille.
Vincent préfère le jour le matin tôt,
le matin engourdi, brumeux, bientôt bruineux.
Surtout les matins des nuits blanches si possible trempées.
Surtout quand le jour, juste avant de venir sur la scène, semble répéter les couleurs
de ses prochaines heures sur le bout de ses " doigts de rose de l'aurore ".
Alors la lumière croît par arpèges en tonalités qui se confondent avec des mesures de
temps.
Alors l'espace est différent, plus grand, plus certain.
Berck-Plage
17 août 2008
Vincent préfère la géographie.
La Terre a été engendrée par les nuages et depuis, étalée dessous, à chaque marée
modelée et remodelée par la mer et le vent, et dessinée d'arabesques sur le sable
exondé des baies.
La Terre au-dessus de laquelle les nuages passent et repassent éternellement,
foncée et refroidie par leurs ombres bouillant les reliefs, les creusant.
La Terre qui attend leur eau pour boire et survivre, enchaînée à sa condition de
planète, à sa gravité.
La Terre, bande mince prise entre les ciels nuageux et la mer.
Leur attirance, attraction.
Traction, tirance ...
Comme la terre s'arrondit, s'étire, se hausse jusqu'à les toucher.
Comme ils pèsent au-dessus d'elle, outrés, se couchent dessus.
Elle, les absorbe. C'est ainsi qu'ils s'aiment.
La géophotographie montre ce que la lumière écrit et colore à la surface de la Terre.
Les lignes qui délimitent et différencient ses espaces, ses matériaux.
Photographier c'est alors en dresser la carte, de préférence là où se rejoignent la
terre, les rochers, le sable, la mer.
Où se heurtent. Où coïncident, cohabitent, sous le ciel nuageux. Chacun selon
sa logique, la densité de sa matière, son mouvement, son rythme, son cycle, son
temps.
Sur ces étendues les humains ont la taille de têtes d'épingles.
Actions!
Vincent marche.
Fatehpur Sikri (Uttar Pradesh), Inde, 2002.
Pour commencer, il danse.
Premier pas, les yeux baissés dans l'allégresse contenue du départ vers ce qui s'ouvre
tout à coup devant lui, temps et espaces immensément pleins de désirs et de
possibilités.
Déjà il trouve ce qu'il cherche, sans bien le savoir ni même le voir tout de suite :
les gens, le mouvement, l'architecture, le travail, la fête, les objets, à profusion.
Et tout à coup le désert, avec au fond, dans la brume, le mirage même, le Taj Mahal.
Désormais le programme sera : marcher, regarder, s'émerveiller, attendre.
Cap Blanc Nez, Pas-de-Calais, France, 2010. De son pas lent, il marche, le buste un
peu rejeté en arrière pour mieux voir. Les photographies sont prises au rythme de
cette marche, elles ont sa régularité. Le photographe nous conduit, en plans de plus
en plus serrés, nous montre comment approcher des choses, en mesurant pour
commencer la distance qui nous en sépare, en les appréhendant dans leur rapport à
l'espace.
Le long de la route qui serpente, de point de vue en point de vue, frôlant les gens qui
se sont arrêtés, on marchera avec lui jusqu'au bout de la jetée, jusqu'au bout de la mer.
Mais, avant d'arriver, il faut se retourner pour voir ce que porte la surface de la terre,
les cultures, les animaux d'élevage, le village dans son creux, la route qui y conduit
et en repart.
Au bout de la marche, il y a le mineral. Sous la couverture végétale, animale
et humaine, dont on peut alors mesurer la minceur, il y a la falaise, la roche qui
tombe de toute sa hauteur jusqu'au sable.
Au bout de la marche, il y a ce qui reste : le sable, la roche, l'eau. Ce qui reste, ne
disparaît pas, se renouvelle sans cesse.
Vincent regarde.
Regarder, garder encore. Comme tenir et retenir.
La vie, le temps. Le temps, la tentation de l'arrêter.
La photographie pour apprendre à regarder, comme l'écriture pour apprendre
à vivre par exemple, en essayant d'arrêter le temps juste ce qu'il faut pour essayer
d'y voir et peut-être comprendre quelque chose.
Puis regarder devient préparer la photo, se préparer à la photo.
Vincent marche et regarde les éléments entrer peu à peu dans le cadre
de ce qui va devenir une photographie. Leurs formes, leurs couleurs,
leur éloignement, la façon dont ils sont éclairés qui change selon les heures,
les respirations du ciel et le pas de sa marche qui est aussi une respiration.
On pourrait croire que les éléments viennent les uns vers les autres, attirés les uns
par les autres, à la recherche instinctive du sens commun qu'ils vont émettre
les uns à cotés des autres dans le cadre et qui sera fixé par l'image.
Il semble qu'ils se préparent eux aussi à la photo.
Vincent s'émerveille.
Le monde vu à travers les lentilles de l'objectif est plus beau, plus interessant,
plus intense. Plus sensé. Et il y a l'illusion de pouvoir le comprendre.
Mais le monde est beau, interessant, intense, sensé et peut-être compris.
C'est en tout cas ce que Vincent veut voir quand il marche et regarde,
et c'est de quoi il s'émerveille.
Vincent attend.
"A un moment, ça y est, la photo est là, il n'y a qu'à la prendre. "
C'est l'instant. "L'instant décisif " selon le maître Cartier-Bresson qui disait à propos
d'une photo qui n'avait pas pu être prise qu'elle avait disparu, et puis :
" la photographie est un couperet qui dans l'éternité saisit l'instant qui l'a éblouie ".
La photographie était pour lui toujours d'abord la vie saisie.
C'est pourquoi il travaillait avec un objectif, le fameux 50mm, qui lui permettait
de cadrer et qu'il marchait vers l'image.
Vincent marche en Inde et dans le Pas-de-Calais, regarde les éléments entrer peu à peu
dans le cadre, s'émerveille du monde à travers l'objectif et attend l'instant.
" Il y a de bons moments " dit-il.
Puis il photographie.
Les gens.
L'architecture.
L'eau
La fête foraine.
Le travail.
.....
à suivre
Vincent préfére.
Extraits - I. Van Welden
INDE, Fatepurh Sikri déc. 2002